Le Bois des Croisettes, une forêt magnifique de 136 Ha pourrait être sortie du régime forestier public pour être revendu à un riche investisseur. Cela constituerait un dangereux précédent pour les forêts wallonnes. Le Ministre CDH Collin a en effet dans ses cartons un projet de loi qui faciliterait la privatisation des forêts publiques.
Les habitants des communes voisines et utilisateurs du Bois des Croisettes ont lancé une mobilisation salutaire. Le 2 juillet dernier, plus de 400 personnes sont venues défendre ce site et les forêts wallonnes.
Le Forum des jardiniers soutien cette action et a adressé à l’administration communale de Chiny la lettre de reclamation que vous trouverez ci-dessous.
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Echos de la mobilisation :
https://boisdescroisettesblog.wordpress.com/
http://www.lavenir.net/cnt/dmf20170621_01021809/chiny-la-population-se-mobilise-pour-que-le-bois-des-croisettes-reste-public
http://www.lavenir.net/cnt/dmf20170702_01026154/non-a-la-privatisation-du-bois-des-croisettes
https://www.rtbf.be/info/regions/luxembourg/detail_chiny-ils-ont-dit-non-a-la-vente-du-bois-des-croisettes-ce-dimanche-lors-d-une-marche-de-sensibilisation?id=9650141
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Tuiniersforum des Jardiniers
Rue Pletinckx 7
1000 Bruxelles
info@tuiniersforumdesjardiniers.be
Collège des bourgmestres et échevins de Chiny
Administration communale de Chiny
10 rue du Faing
6810 Jamoigne
sebastian.pirlot@publilink.be
Copie à :
Collectif les forêts pour tous
Thomas Claessens
thom.claessens@gmail.com
Nathalie Maricq
nathaliemaricq@gmail.com
Concerne : réclamation dans le cadre de l’enquête publique relative à la vente publique du domaine des Croisettes de Suxy
Monsieur le Bourgmestre Sébastian Pirlot,
Mesdames et Messieurs les échevins,
Mesdames et Messieurs les responsables de la forêt de la Commune de Chiny,
Nous sommes avertis par le « Collectif forêts pour tous » de l’enquête publique concernant la vente du domaine des croisettes et vous adressons la présente lettre de réclamation. Nous vous remercions de la verser au dossier et de nous fournir des réponses écrites précises aux différents points qui y sont soulevés.
La soustraction au régime forestier de ces 136 hectares pose de sérieux problèmes. Nous sommes opposés à la vente du domaine des Croisettes pour plusieurs raisons que nous vous exposons ci-après :
1. Accessibilité du domaine des croisettes
En tant que bruxellois adepte de la marche à pied et promeneur régulier en Wallonie, nous sommes particulièrement attachés à l’accessibilité de nos forêts, de la possibilité qui est offerte à chacun de profiter de ce patrimoine commun. La soustraction au régime forestier ne garantit plus cette accessibilité, d’autant qu’aucune servitude n’existe dans ce domaine. S’il est question dans certains médias d’assurance que le domaine des Croisettes restera ouvert au public, il est évident que la gestion privée du site n’accorde aucune garantie à ces affirmations. Au contraire, le propriétaire pourrait à tout moment décider de limiter en tout ou partie l’accès à ce qui ne devrait pas devenir une propriété privée.
La gestion publique du bien constitue une meilleure manière de garantir l’accessibilité de la forêt.
Le Bois des croisettes est par ailleurs un site de toute beauté dont les usagers, de Chiny mais aussi de toute la Belgique, seraient privés sans qu’aucune compensation ne puisse être apportée.
Il n’est pas acceptable de priver les citoyens de l’accès à ce bien commun et précieux pour des raisons budgétaires étrangères à la nécessité impérieuse de protéger les forêts wallonnes.
2. Tourisme
Chiny et ses environs sont une destination touristique « nature » prisée. C’est d’ailleurs un pan de notre économie important avec des retombées locales multiples. La forêt, en plus d’attractions touristiques majeures (vallée de la Semois, Bouillon, Orval) est le véritable atout de notre région. Sa valorisation et son ouverture sont d’ailleurs des points centraux mis en avant dans les stratégies du Parc Naturel de Gaume, de la Maison de Tourisme de Gaume, de la Fédération touristique du Luxembourg Belge. La forêt est un atout déterminant de la région, pour autant qu’elle reste ouverte à tous !
Nous notons que la Commune de Chiny a d’ailleurs soulevé ce point en indiquant que :
« La soustraction au Régime forestier a, en effet, des conséquences importantes et potentiellement très dommageables pour l’attrait touristique de notre commune.
L’impact sur la circulation en forêt nous préoccupe particulièrement car le territoire concerné ne compte aucun chemin vicinal et les chemins privés du domaine pourraient être fermés du jour au lendemain. Ce serait désolant pour tous, randonneurs, VTT, pêcheurs, mouvements de jeunesse, … et utilisateurs de l’aire de repos « La Rochette » récemment rénovée et située à proximité immédiate du domaine. »[1]
Il nous apparaît inacceptable que la commune d’Aubange, constatant l’éloignement du Bois des croisettes de son territoire, puisse prendre la décision de vendre ce domaine au détriment d’une commune voisine.
3. Un dangereux précédent
En permettant la soustraction de ce domaine au régime forestier et sa vente publique, un précédent serait créé qui ferait peser une menace grave sur les forêts publiques wallonne, et sur le patrimoine commun de chacun.
En effet, depuis de nombreuses années, aucun propriétaire public n’a pu vendre et privatiser de la sorte un domaine forestier entier, pour des raisons budgétaires. Etant donné le contexte actuel et le projet du gouvernement wallon de faciliter la privatisation du bien commun naturel, ce précédent constituerait un signal extrêmement négatif pour la protection des forêts wallonnes et tout ce qu’elles représentent de solutions indispensables pour relever les défis, notamment écologiques, d’aujourd’hui et demain.
4. Un échange « nature contre logement » absurde et néfaste
La décision du Conseil communal d’Aubange du 24 octobre 2016[2] d’exposer à la vente publique le domaine des croisettes laisse apparaître que cette décision est prise pour des raisons exclusivement budgétaires. Il s’agit de capter une offre supérieure au prix du marché pour disposer de fonds à réinjecter d’une part dans un plan de logement public et d’autre part dans la rénovation d’une piscine en application du plan du même nom.
Cette logique est la même que celle que nous observons à Bruxelles où les espaces verts sont progressivement et systématiquement détruits au prétexte qu’il est nécessaire de construire du logement, quand des superficies déjà construites et inoccupées existent en quantités supérieures aux besoins réels pour répondre à la crise du logement. Cette politique ne permet pas de trouver de solution à la crise du logement qui s’éternise, et organise la destruction de l’environnement bruxellois. Ce n’est donc pas une réussite.
En outre, la dernière forêt bruxelloise, celle de Soignes, à cheval sur les trois régions, fait également l’objet d’appétits marchands qui constituent une source de préoccupation sérieuse.
La logique mise en avant dans la décision de vendre le Bois des Croisettes est une triple fuite en avant qui consiste à :
i. Vendre la nature pour construire du logement, lequel à n’en point douter sera construit également au détriment de la nature, puisque les sols naturels et la biodiversité sont encore considérés comme dénués de valeur en regard des besoins de logement de la population : cette logique a un impact particulièrement lourd sur l’effondrement de la biodiversité et le climat. L’addition des innombrables décisions locales fait apparaître une dynamique aussi puissante que dangereuse : partout la nature recule et est détériorée. Les coûts toujours plus lourds de cette dégradation pèsent aussi bien sur les finances publiques que sur les droits des citoyens : perte de biodiversité, calamités climatiques, appauvrissement et érosion des sols, atteintes multiples à la santé, etc.
ii. Vendre un bien public impérissable pour réaliser une autre mission publique temporaire (atteindre les 10% de logement public) : la forêt procure des avantages à travers le temps, alors que la construction d’une fraction de logements publics est une action temporaire de court terme. Privatiser un bien public au nom d’une autre mission publique revient à reporter le défaut de responsabilité sur la fonction la plus faible qui est la fonction naturelle. C’est une impasse à tous les niveaux qui organise à la fois la dégradation environnementale et le défaut de gouvernance.
iii. Vendre un bien public précieux pour apurer les comptes publics qui font l’objet d’arbitrages politiques défavorables : le déficit en logement publics est un problème sérieux qui demande une solution politique décidée, de long terme. Apurer momentanément les comptes publics qui ne permettent pas de déployer une politique du logement adéquate en vendant les forêts publiques est une absurdité du point de vue budgétaire, qui revient nécessairement in fine à s’appauvrir.
5. Défis climatique et écologique
L’étendue de la forêt publique en Wallonie est un réel atout pour répondre aux défis majeurs qui nous concernent aujourd’hui : le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité. En effet, le régime forestier assure une gestion visant la durabilité et alliant les enjeux économiques, écologiques et sociétaux de la forêt.
Les efforts de préservation de la biodiversité constituent une priorité au niveau wallon. Les forêts publiques permettent de mener des actions concrètes et intégrées de préservation de la biodiversité. Elles sont un des atouts majeurs permettant d’atteindre les objectifs de la « stratégie biodiversité 2020 ». Ainsi le programme Natura 2000 en Wallonie concerne bien plus largement des forêts publiques que privées.
Les forêts wallonnes sont un trésor qu’il est impératif de préserver dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et ses effets (captage de GES, biodiversité, ressources en eau, etc.). Elles constituent des leviers majeurs pour répondre aux défis climatiques dans la prochaine stratégie 2020-2031 et pour les générations futures.
A ce jour, les politiques mises en œuvre ne permettent pas de rencontrer les défis climatiques. Il faut souligner que la responsabilité financière finale du bouleversement climatique et de l’effondrement de biodiversité en cours pèsera sur les autorités publiques, qui doivent d’ores et déjà et devront plus encore à l’avenir faire face aux problèmes croissants : évènements climatiques intenses et extrêmes en tous genres, pertes de rendements agricoles, érosion des sols, problèmes de santé publique, etc. Dans ces conditions, renoncer à la maitrise de la forêt wallonne, en tout ou partie, n’est pas une option responsable ni du point de vue environnemental ni du point de vue budgétaire.
6. Responsabilités
Permettre la vente du Bois des Croisettes constituerait à la fois la perte de contrôle sur 136 hectares de biodiversité exceptionnelle, en même temps qu’un signal et un précédent dangereux pour les forêts publiques wallonnes. Cette décision s’inscrirait contre l’indispensable et urgente responsabilisation écologique de nos politiques publiques.
Les politiques actuelles ne sont en effet pas à la hauteur pour garantir le droit à un environnement sain et à la santé des citoyens d’aujourd’hui et plus encore des citoyens à venir. Ces droits sont pourtant fondamentaux. En regard de l’évolution de la crise écologique actuelle, et notamment climatique, de nombreux citoyens et associations intentent des actions en justice contre leurs gouvernements.
Ainsi au Pays Bas, la Cour a condamné l’Etat à augmenter et accélérer sa réduction de gaz à effets de serre suite à une action citoyenne.[3] Le tribunal de Vienne a interdit l’extension de l’aéroport sur des terres arables pour éviter un accroissement subséquent des émissions de CO2 qui sont de la responsabilité de l’Etat : « Les juges ont estimé que «l’intérêt public lié à la protection contre les effets négatifs du changement climatique, dû en particulier aux émissions de CO2, est supérieur aux intérêts publics positifs (ndlr: aménagement du territoire et emploi) attendus de la réalisation du projet».[4]
Ce 26 juin 2017, une étudiante attaque le gouvernement de Nouvelle-Zélande pour le forcer à prendre des mesures politiques congruentes avec l’accord de Paris.[5]
Une affaire est également lancée en Belgique pour forcer le gouvernement fédéral et les gouvernements régionaux à diminuer leurs émissions de CO2 : https://affaire-climat.be.
Ces initiatives en justice, qui comme l’actualité le montre sont de plus en plus souvent couronnées de succès, témoignent de la préoccupation grandissante et bien entendu légitime des citoyens pour protéger leur environnement, qui est celui qu’ils empruntent à leurs enfants. Les pouvoirs judiciaires établissent que les responsabilités légales des autorités sont engagées. Dans ce contexte, il est crucial de garder le contrôle public des forêts wallonnes, et par conséquent de la forêt des Croisettes.
Les citoyens sont nombreux à s’exprimer, la responsabilité de la commune de Chiny est également engagée, comme le sera celle des autorités wallonnes.
Vous remerciant de votre attention et dans l’attente de vous lire, nous vous prions Monsieur le Bourgmestre Sébastian Pirlot, Mesdames et Messieurs les échevins, Mesdames et Messieurs les responsables de la forêt de la Commune de Chiny, d’agréer l’expression de nos salutations distinguées.
Le TuiniersForum des Jardiniers
[1] http://www.chiny.be/uploads/avis/contexte.pdf
[2] http://www.chiny.be/uploads/avis/a1-161024-delib-conseil-copy.pdf
[3] « La Justice climatique est en marche », La libre, 5 juillet 2015, http://www.lalibre.be/debats/opinions/la-justice-climatique-est-en-marche-559934443570c68585294dba
[4] Tribune de Genève, 10 février 2017, http://www.tdg.ch/monde/extension-aeroport-interdite-cause-co2/story/16320812
[5] Le temps, 26 juin 2017, https://www.letemps.ch/monde/2017/06/26/une-etudiante-neozelandaise-attaque-gouvernement-climat