Nouveau régime climatique: l’a-ménagement du territoire menace dangereusement Bruxelles

[Texte publié en ligne sur le site web de la RTBF ici.]

A nouveau les inondations ont frappé dans de nombreux villes et villages en Wallonie et en Flandre, après que des grêlons de la taille de balles de tennis se soient abattus en France. Juste avant qu’un dôme de chaleur s’installe au-dessus de l’Espagne et de la France où les températures ont atteint 43°C par endroits, au printemps. Le 7 juin 2022, il neigeait dans le Sud de l’Allemagne au point d’immobiliser les habitants du village Weiler im Allgäu. Trois semaines plus tôt, les températures atteignaient 51°C au Pakistan et 50°C en Inde. Le 23 mai, il neigeait à Denver – USA, les températures passant de 32°C à -1°C en 36 heures. En Belgique, l’année dernière, des précipitations inhabituelles avaient généré des inondations massives en Wallonie qui avaient tué 41 personnes et détruit des milliers de foyers.

Ces épisodes sont conformes aux prédictions scientifiques qui détaillent depuis de nombreuses années les impacts croissants qui découlent de la destruction des équilibres climatiques. En février dernier, le GIEC publiait le rapport présentant l’impact, l’adaptation et la vulnérabilité au changement climatique. Ce rapport confirme et renforce la certitude que statistiquement, il est inévitable que des épisodes météorologiques extrêmes touchent Bruxelles, dans un avenir proche – peut-être cet été.

Deux types d’épisodes sévères en particulier constituent des menaces directes: les vagues de chaleurs et les précipitations intenses. Combinés à la géographie urbaine, les vagues de chaleurs créent notamment des îlots de chaleur et des épisodes de pollution atmosphérique potentiellement mortels. Les précipitations provoquent des inondations et renforcent la transmission de maladies virales lesquelles comme nous l’avons vu l’année dernière, peuvent elles aussi être létales. Ces épisodes impactent les infrastructures clés et mettent le système de soins sous pression. Le rapport du GIEC souligne que ce sont les personnes les plus vulnérables, particulièrement dans les quartiers socioéconomiquement défavorisés, qui sont les plus durement frappées.

Les cartes d’îlots de chaleur et des zones inondables dressées par Bruxelles-Environnement laissent peu de place au doute: lorsque des épisodes extrêmes surviendront, des dizaines de milliers de personnes seront physiquement confrontées à l’inadéquation profonde de l’urbanisme actuel avec le nouveau régime climatique (selon la formule de Bruno Latour).

Depuis des lustres, la construction de Bruxelles a suivi la logique productiviste d’a-ménagement du territoire (selon la formule de Mohammed Taleb), c’est-à-dire une façon de ne pas ménager le territoire mais de le violenter méthodiquement, ce qui l’a logiquement fragilisé. Il s’est agi d’artificialiser massivement les sols et de recourir systématiquement au béton pour générer toujours plus d’activités financièrement rentables et de retours sur investissements, pour favoriser les fonctions urbaines marchandes. On a par exemple préféré un centre commercial à un familistère historique, des tours de bureaux excédentaires à la place de logements, et du logement trop cher à la place de sols vivants et de biodiversité. Cet a-ménagement n’est pas concerté : il ne sert pas tant les habitants que des intérêts spéculatifs, et fait fi de la nature qui n’a pas voix au chapitre. Cette logique continue à ce jour d’aggraver la vulnérabilité de la ville et de ses habitants. Il faut en sortir sans délai.

De cet a-ménagement, de ce volontaire manque de soins et d’attention à ce qui est vital et fragile, nous devons passer au ménagement du territoire, envisagé avec les gens et en coopération avec la biodiversité qui nous fait tous vivre. Des méthodes éprouvées permettent de réduire les effets inévitables des catastrophes à venir, tout en limitant les causes du bouleversement climatique: il s’agit des méthodes naturelles qui consistent à laisser plus de place à la nature, aux fonction et processus écologiques qui soutiennent aussi la vie humaine. Le problème est connu, les solutions aussi. Comment alors expliquer que le gouvernement bruxellois ne fasse pas le nécessaire?

Rien n’indique en effet que les ministres s’orientent vers la sauvegarde de nos intérêts vitaux, au contraire. Si différentes initiatives sont à saluer, comme l’ouverture d’un court tronçon de la Senne ou certaines actions de débétonisation localisées dans les cours d’école (opération re-création) ou encore la création d’un petit « parc » végétalisé dans le quartier Heyvaert dans une nouvelle déferlante de béton, elles sont malheureusement totalement insuffisantes au regard de l’ampleur du changement actuel et de l’écocide des habitats de biodiversité qui se poursuit.

L’argument sempiternellement avancé consiste à affirmer qu’il demeure légitime de détruire la nature pour répondre au besoin de logement. A opposer nature et social. Or, la plus grande part du logement construit est trop cher pour ceux qui n’ont pas de logement digne. D’autre part, on sait que la construction ne résorbe pas la liste d’attente de logements sociaux depuis 30 ans et ne permettra pas de le faire à l’avenir[7]. Finalement, il est non seulement absurde, mais en plus criminel, de prévoir de loger plus de gens à Bruxelles en rendant la ville toujours plus fragile face aux inévitables désastres climatiques. Ce que fait le gouvernement actuel, c’est en effet exposer toujours plus de personnes au danger, sans jamais réduire le mal-logement.

Cela est totalement inacceptable.

Des actions préventives doivent être prises avant la survenue inévitable d’évènements météorologiques critiques à Bruxelles. Elles auraient dû l’être depuis longtemps dans la mesure où ces menaces sont clairement identifiées depuis des décennies. L’inaction climatique à déplorer des 50 dernières années n’est plus une option.

Il est aujourd’hui urgent d’arrêter d’a-ménager le territoire, en décidant d’un moratoire sur l’artificialisation des sols naturels ou renaturalisés, sur l’abattage des arbres et sur l’assèchement des plans et cours d’eau, de même que sur les projets de construction spéculatifs.

Il est tout aussi urgent de ménager le territoire bruxellois en favorisant les capacités d’infiltration des sols et d’absorption des zones humides, en régulant la chaleur par les plans d’eau, en rafraîchissant la ville grâce à l’évapotranspiration des arbres qui doivent retrouver plus de place, en recréant des espaces naturels dans les zones les plus minéralisées.

Et dans le même temps, de rénover les logements sociaux (4.000), de socialiser des logements publics (5.000), de rénover et réparer la ville avec des approches locales et inclusives pour utiliser adéquatement le patrimoine bâti existant (de 17.000 à 26.000 logements vides, plus de 1.000.000 m² de bureaux vacants).

L’urgence de ne plus faire certaines choses va de pair avec l’urgence d’en faire d’autres. Les évidences scientifiques, les expériences politiques et les mises en œuvres techniques existent et sont disponibles.

Les décideurs qui continuent de faire la ville sans les gens et contre la nature mènent des politiques néfastes qui exposent un nombre croissant de bruxellois-e-s à des dangers très sérieux. L’époque où cela était accepté est révolue, car désormais les vies et habitats de tous.tes sont en jeu.

Signataires au 15 juillet 2022 (si vous souhaitez signer cette carte blanche, faites-le nous savoir par email):

Amis de la forêt de Soignes asbl

Les Ami.e.s du champ des Cailles

Bruxelles Nature asbl

CCN Vogelzang CBN asbl

Collectif QuartierWielsWijk

Collectif Sauvegardons Neerpede

Comité Médiapark

Comité quartier Ninove-Match

Jardin Collectif Tour & Taxis

Marais Wiels Moeras asbl

Sauvons la friche Josaphat

Save Donderberg

Vital asbl

Tuiniersforum des jardiniers

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