
Une parabole de l’anthropocène et un chemin pour en sortir
Un. Un personnage important, souriant, pose une assiette de 10 kg de merde sur la table du citoyen : bon appétit ! Un personnage important déclare aux médias qu’il va proposer un nouveau projet. Ce sera une solution novatrice et positive pour résoudre un problème au nom du bien public. La solution a été longuement élaborée, répond aux plus hauts standards, et s’inscrit dans une dynamique de progrès.
Deux. Le citoyen le regarde éberlué : ça va pas ? Le hic, c’est que les citoyens n’y croient pas : la solution en question n’en est pas une, ses conséquences sont négatives pour la nature et les gens, les doutes sont nombreux, seule une petite partie des enjeux sont abordés, personne n’a été consulté. Hop, pétition, facebook, manif, panneaux. C’est non !
Trois. Le personnage important, toujours souriant : c’est bon pour vous et pour vos concitoyens. Le personnage important explique que ceux qui se plaignent sont une minorité de gens qui ne pensent qu’à eux, des nimby, des bobos, des grincheux, que l’on ne va tout de même pas arrêter le progrès, que cette agressivité témoigne d’un trouble problématique à l’autorité démocratique, que le financement est déjà prévu, et que ceux qui ne sont pas contents peuvent toujours se présenter aux élections, hahaha ! Le personnage important ajoute que le projet a reçu l’aval d’un comité scientifique, que les autorisations vont être obtenues puisque c’est son copain qui les donne et qu’il est d’accord, et que les effets positifs du projet sont incontournables.
Quatre. Le personnage important ouvre un tout petit peu les yeux et déclare d’un ton pénétré : nous pouvons en discuter. Le personnage important ajoute ensuite que dans sa magnanimité, il accepte une concertation avec les citoyens pour les écouter, comme le prévoit la démocratie.
Cinq. Le citoyen déclare poliment que ça fait tout de même peut-être un peu trop de merde, mais qu’il veut bien lui aussi en discuter. Les citoyens sont réunis dans quelques salles où on leur explique pourquoi le projet est une solution novatrice et positive de progrès pour le bien commun. Ils s’expriment et émettent des réserves, mais ils assurent qu’ils veulent sortir de l’esprit de confrontation et construire avec le personnage important des solutions encore meilleures.
Six. Le personnage important retire la moitié du caca, rend l’assiette pleine de 5 kg de merde et déclare d’un air magnanime : vous avez été entendu. Le personnage important modifie quelques points de son projet. En cas de contestation forte, il est même capable de le revoir de manière relativement significative, l’important n’est pas-il pas de créer une solution novatrice pour le progrès de tous ?
Sept. Le citoyen passe à table, avec le sourire. Le citoyen, heureux d’avoir été entendu, déclare aux médias que grâce à sa mobilisation, une solution réellement novatrice et positive a pu être trouvée, qu’il faut savoir faire des compromis et sortir de l’esprit de confrontation, et que la démocratie a vaincu.
Huit. Son enfant jette l’assiette à terre. L’enfant du citoyen entre à ce moment-là dans la pièce et jette l’assiette à terre en déclarant calmement à son parent “n’accepte pas cette lâcheté, tu me ferais honte”, et au personnage important “rentrez chez vous, vous n’êtes pas digne de parler pour nous”.
Moralité : en misant sur son apparence de légitimité et la peur du conflit des citoyens, le pouvoir productiviste remplit le monde de merde. Nous pouvons arrêter d’accepter d’en manger. Nous pouvons établir un rapport de force non-violent avec les pourvoyeurs de caca : ils n’ont pas de légitimité pour imposer leur désastre, nous sommes assez nombreux pour les empêcher de tout défaire.
Retrouvons collectivement le sourire.